COMMUNIQUE DE PRESSE – 30 mars 2008

 

Le classement de 2006 des Grands Crus de Saint-Emilion

 

 

« Classement qualitatif ou classement administratif ? »

 

 

Voilà la question que les viticulteurs et les amateurs de bons vins de Saint-Emilion peuvent légitimement se poser après l’audience du Tribunal administratif de Bordeaux qui s’est tenue le 25 mars 2008.

 

En effet neuf châteaux de Saint-Emilion à qui l’ensemble « Syndicat viticole de Saint-Emilion (devenu récemment le Conseil des vins de Saint-Emilion) – Commission de classement nommée par le Syndicat – INAO qui chapeaute la Commission et officialise les décisions », a refusé l’accession ou le maintien dans la liste des Grands Crus Classés de Saint-Emilion, ont déposé un recours devant la justice pour contester ce refus. L’INAO étant un établissement public, ses décisions sont considérées comme des décisions administratives et c’est au Tribunal administratif que revient la responsabilité de trancher les litiges.

 

C’est ainsi que les viticulteurs de Saint-Emilion qui s’estiment lésés par le classement des grands crus de 2006 en sont quasiment réduits à rechercher et mettre en évidence les fautes de procédures administratives, alors qu’ils souhaitent essentiellement montrer :

1.      l’absence de règles de travail de la Commission et de l’INAO,

2.      la non-compétence en matière de dégustation de la majorité des membres de la Commission,

3.      les discriminations de traitement des différents châteaux candidats de la part de la Commission,

4.      l’absence de débat contradictoire et de nouvelles dégustations.

 

Heureusement les irrégularités commises par le Syndicat viticole de Saint-Emilion, la Commission de classement et l’INAO sont nombreuses : non-publication de textes dans les délais, choix inapproprié des membres de la Commission (incompétence en dégustation, relations d’affaire avec des candidats), choix arbitraire d’un système de notation et de seuil de sélection, regroupage volontaire de certains châteaux pour les dégustations, système de dégustation rendant impossible l’anonymat total des crus, non-séparation des châteaux issus de terroirs différents, non-communication des fiches de dégustation, non-examen par le Syndicat viticole de Saint-Emilion des résultats du travail de la Commission, rétroactivité du classement sur la récolte 2006, etc.

 

Les quatre avocats des neuf châteaux ont largement démontré ces erreurs de procédures.

 

Dans ses conclusions le Commissaire du Gouvernement, chargé de défendre l’administration, a rejeté toutes les démonstrations des avocats des viticulteurs. Mais, il l’a fait avec une prudence de chat et un luxe de précautions. Et surtout, il n’a, à aucun moment fait appel à la loi, aux textes de loi votés par les représentants du Peuple. Le Commissaire du Gouvernement n’a pu se reposer que sur des jurisprudences. Saluons au passage la performance de ce représentant de l’Etat qui, voulant à tout prix défendre l’administration, est allé rechercher jusqu’à près de cinquante ans en arrière les jurisprudences les plus inattendues que les juges de l’époque se sont donnés beaucoup de mal à rédiger afin de justifier - quoi ? – des erreurs administratives qui auraient dû être annulées par les textes votés par le parlement ! Ajoutons que nous n’avons pas le loisir de vérifier ces jurisprudences qui concernaient des décisions administratives bien loin de notre problème de classement. Mais il est à parier qu’un examen approfondi de toutes ces décisions montrerait que ces jurisprudences ne sont logiquement pas applicables dans nos affaires. Ces jurisprudences sont censées justifier des mesures de rétroactivité, accepter des conflits d’intérêt, accepter l’opacité des procédures de classement sous couvert de souveraineté de la Commission.

 

Et voilà comment les dégustateurs de la Commission « ont trouvé des faiblesses dans certains crus » sans aucune possibilité de débat contradictoire, ni de nouvelle dégustation de vérification. Sachez que la Commission comprend neuf membres et que seuls quatre (un œnologue, deux courtiers et un négociant) ont une pratique professionnelle de la dégustation. Aucun membre de la Commission n’a vu ses compétences évaluées en matière de dégustation. Que diriez-vous si, au concours de l’internat, le jury ne comprenait qu’une minorité de chirurgiens et de médecins pour sélectionner le chirurgien qui va vous opérer à cœur ouvert ? Comment la Commission de classement peut-elle avoir un avis opposé à celui des courtiers et des négociants qui goûtent et achètent les vins des neuf châteaux et qui les revendent à leurs clients toujours fidèles d’année en année ? Comment la Commission de classement peut-elle avoir un avis opposé à celui de dégustateurs professionnels et de journalistes œnophiles tel Robert Parker, référence à peine contestée et toujours suivie ? Comment la Commission de classement peut-elle avoir un avis contraire à celui des jurys de concours homologués formés de dégustateurs professionnels et dans lesquels siègent des représentants de la Direction de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes ? Bien évidemment la Commission n’a pas raison contre tous les professionnels ; c’est elle qui se trompe. Notons au passage que le Château Croque-Michotte a obtenu dix-huit médailles dans ces concours pour les onze derniers millésimes. La Commission ne le sait pas puisqu’elle n’a apparemment pas lu notre dossier de candidature.

 

Comme nous pensons que l’avocat de l’INAO n’est pas incompétent, nous pensons donc qu’il est un menteur. En effet il prétend que les candidats connaissaient le règlement et qu’ils ne peuvent se plaindre de ne pas en avoir eu connaissance. C’est faux. Le seul règlement qui est existe est le règlement de candidature, publié de manière irrégulière, rappelons-le. Les candidats parlent du règlement de méthode et de procédures de travail de la commission ; celui-ci ne peut leur avoir été communiqué, car même aujourd’hui il n’existe pas. La Commission a dû improviser ses propres procédures, son propre règlement de travail. La Commission a cumulé le législatif et l’exécutif, ce qui est contraire à la séparation des pouvoirs, principe de base dans tout système démocratique. Ce règlement de travail aurait du être pensé et écrit par le Syndicat viticole de Saint-Emilion et publié avant le dépôt des candidatures.

 

Nous avons vu que le Commissaire du gouvernement avait dû effectuer un gros  travail de recherche pour trouver dans la jurisprudence la justification d’erreurs de l’administration, mais que dit l’avocat de l’INAO ?

1.      que les candidats connaissaient d’avance les règles et qu’en participant, ils les acceptaient. Nous avons montré que le règlement de la Commission ne pouvait être connu, puisqu’il n’existe pas. Mais même s’il l’avait été, les candidats, en ne participant pas se seraient éliminés définitivement du classement et des débats. Donc les candidats n’ont pas eu d’autre choix pour se faire entendre que de concourir. J’ajoute, en ce qui concerne Croque-Michotte, que nous avions communiqué au Syndicat Viticole oralement dès 1997, puis par écrit dès 2001 (documents disponibles), notre désaccord avec le principe actuel de classement ; et nous avions fait des propositions de réforme. Donc il est faux de dire que nous avions accepté le système actuel de classement.

2.      que la candidats éliminés ne sont jamais contents. Certes les candidats éliminés ne sont pas contents. Mais ceux-ci ne sont pas simplement mécontents de leur élimination : ils sont mécontents d’avoir été éliminés pour des motifs contredits par tous les professionnels ainsi que nous l’avons déjà dit (concours, journalistes, courtiers, négociants et surtout le marché animé par les clients qui aiment et qui payent).

3.      qu’il y a des recours à chaque classement. L’avocat de l’INAO omet de dire que les recours sont en augmentation sensible. Cette augmentation est devenue nette lorsque le Syndicat viticole a cru bon de demander à des non-professionnels de la dégustation (géographe, géologue, juristes, administrateur du Crédit Agricole à la retraite, etc.) d’organiser les dégustations et de déguster. Supposons qu’un journaliste ou un juge soit conduit à pratiquer des opérations des amygdales, il est à parier que les recours devant les tribunaux seraient nombreux. Les recours sont une conséquence directe des vices du système actuel de classement.

4.      qu’il n’y a pas eu d’erreur manifeste d’appréciation. Nous avons déjà parlé de l’incompétence de la Commission. Disons seulement maintenant que le classement de la Commission ne correspond pas au marché qu’il est censé guider. C’est une constatation et la meilleure preuve : des vins plus chers et plus célèbres que nombre de crus classés ne sont pas classés. Par contre des crus classés sont obligés de tronçonner leur récolte en premier vin classé, puis en deuxième vin, voire troisième vin non classés, pour écouler leurs bouteilles. Et par ailleurs des châteaux non classés sont cotés sur la Place de Bordeaux et manquent de vin. Ajoutons que la Commission est bien coupable d’erreur manifeste d’appréciation car, composée quasiment des mêmes membres qu’en 1996, elle a déclassé en 2006 onze châteaux qu’elle avait classés en 1996 (onze grands crus classés sur cinquante cinq, soit vingt pour cent d’erreur) ! Par sa sélection de 2006, la Commission officialise ses erreurs de 1996. Les consommateurs ne vont pas être ravis d’apprendre que les vins qu’ils ont achetés ces dix dernières années ne sont finalement pas dignes d’être classés. Ceci prouve en réalité que le système de classement est absurde et qu’il trompe le consommateur.

5.      que les dégustations des autres professionnels de la dégustation, prises en exemple par les châteaux pour se défendre, n’étaient pas à l’aveugle. C’est faux. Les dégustations des concours sont effectuées à l’aveugle. La DGCCRF y siège. Les dégustations du Guide Hachette par exemple sont toujours effectuées à l’aveugle. La plupart des journalistes effectuent des dégustations à l’aveugle sous le contrôle des conseils interprofessionnels.

 

Que faire ? Annuler le classement actuel et reprendre le travail de réforme que le Syndicat viticole de Saint-Emilion a laissé tomber en 2002 par calcul ou par lâcheté. Ce nouveau classement devra reconnaître l’élément fondamental des appellations d’origine contrôlée françaises, à savoir le terroir. C’est le terroir qui permet d’obtenir à la fois la puissance et la finesse des grands vins. Il faut annuler le système de révision décennale par lequel une commission, évidemment pas infaillible, doit goûter une trop grande quantité de bouteilles (environ mille) et ensuite mettre en péril de grands et vieux vignobles de famille. Le maintien du haut niveau de qualité des vins issus des grands terroirs ne peut se faire que de manière continue et pédagogique afin de détecter et contrer en douceur toute baisse de qualité. Le classement ne doit plus être administratif, mais qualitatif, dans l’intérêt des consommateurs qui sont bien oubliés actuellement.

 

Pierre Carle (famille Geoffrion)

Associé propriétaire et vinificateur du Château Croque-Michotte à Saint-Emilion